Sur la lutte à l’hôpital de Fougères suite au rassemblement du 30/06/2020.
Déjà plus d’un an que les hôpitaux publics en France tirent la sonnette d’alarme : l’optimisation budgétaire de la prise en charge des malades se paie cher pour les soignant.e.s comme pour les usager.ère.s.
Ces derniers mois, l’épidémie de COVID19 a mis la situation déjà tendue des soins publics à rude épreuve. Résultat : les usager.ère.s ont eu droit à une démonstration à grande échelle des faiblesses du système de soins et les soignant.e.s ont maintenant une fenêtre grande ouverte pour faire connaître les problématiques de leurs conditions de travail.
A Fougères, près de 150 personnes se sont rassemblées le 16 juin dernier sur le parvis de l’hôpital : du personnel en débrayage et des usager.ère.s venu.e.s les soutenir. Après cette action encourageante, un nouvel appel a été lancé pour le 30 juin. Nous y avons rencontré des représentant.e.s du personnel CGT et CFDT.
Qu’il y ait la crise ou pas la crise, c’est pareil, ça n’a rien changé. Il manque des moyens humains pour travailler.
Avant la crise sanitaire ?
« Il nous manquait du personnel, on faisait beaucoup de l’auto-remplacement…
– Il y avait déjà une crise, la crise avant la crise !
– On avait du mal à prendre nos congés. L’épuisement professionnel aussi parce que là avec les heures supplémentaires, on avait calculé à l’hôpital de Fougères, on pouvait embaucher sur 30 ETP (équivalent temps plein) avec nos heures supplémentaires. C’est énorme.
Donc euh, le gouvernement, quand ils nous disent de faire des heures supplémentaires, on a déjà des heures supplémentaires. On est pas à 35h.
– On est à 37h50 avant les heures supplémentaires. Même le mouvement il s’inscrit dans le temps, puisque avant la crise COVID il y avait des crises à l’hôpital, on a accompagné le mouvement des EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) depuis un an ~ un an et demi, les urgences… Petit à petit chaque profession s’est agrégée autour des difficultés de travail au quotidien. En EHPAD avant encore… »
« Moi dans le service où je suis, qu’il y ait la crise ou pas la crise, c’est pareil, ça n’a rien changé.
Il manque des moyens humains pour travailler. Le MAG (médecine aiguë gériatrique), c’est beaucoup de personnes âgées donc plus de 90 ans quoi, qui sont multi-pathologiques et qui ont forcément des fois pas mal de problèmes de démence, de comportement. Alzheimer, tout ça.
Pour travailler auprès de ces personnes, il faut du temps. Une personne âgée, le temps qu’elle comprenne, si elle a des problèmes au niveau du cerveau, le temps qu’elle intègre la chose que vous allez lui dire, ça va demander plus de temps qu’à vous, qu’à moi. Rien que se lever, marcher : je vous dis de vous lever, vous allez vous lever, alors qu’elles c’est plus long. Sauf que ce temps là, ben des fois il faut faire vite et… des fois on est obligé de les aider et on les laisse pas forcément faire alors qu’elles seraient aptes à le faire. Mais on a pas le temps d’attendre. Donc il manque des gens pour être auprès de ces personnes.
Elles sont déjà pas mal âgées donc elles sont déjà en perte d’autonomie, mais le si peu qu’elles pourraient faire, elles le font, mais faut le faire vite. Des fois il y a des tensions entre le malade et nous. Psychologiquement c’est pas toujours évident de se faire… enguirlander quoi (rire). »
On a travaillé sans masque. Les directeurs passaient pour nous enlever les masques pendant les 15 premiers jours.
La période de confinement à l’hôpital ?
« Le confinement ça a été dur les 15 premiers jours parce qu’on avait pas de masques. On a travaillé sans masque. Les directeurs passaient pour nous enlever les masques pendant les 15 premiers jours. Donc voilà… Après c’est difficile parce que c’est un stress pour les personnels…
– L’angoisse au travail, la peur de ramener la maladie chez soi. »
Et après les 15 premiers jours ?
« C’était différent au cours du temps, parce qu’au début les gens ont fui un peu l’hôpital, faut le dire, ils avaient peur. Ils n’osaient plus venir à l’hôpital.
– Il y a eu une baisse d’activité pendant le COVID. Mais enfin on a soigné quand même parce qu’il y a des choses urgentes qu’il faut soigner, on a pas le choix. »
Les visites étant interdites, il y avait plus de sollicitations téléphoniques, beaucoup plus quoi, donc c’était difficile à gérer.
Des cas de COVID à Fougères ?
« Il y a eu quelques cas, mais voilà ça n’est pas non plus… Et puis de toute façon les gros cas étaient transférés au CHU (centre hospitalier universitaire). Il y a beaucoup de suspicions mais il faut savoir que les suspicions c’est identique au COVID puisque les préventions de protections sont identiques : on est obligé de se protéger donc on prend autant de temps. Et puis les appels des familles, de plus en plus dans les services.
– Les visites étant interdites, il y avait plus de sollicitations téléphoniques, beaucoup plus quoi, donc c’était difficile à gérer. C’est logique puisque les gens étaient inquiets pour leurs proches et ne pouvaient plus se déplacer physiquement. »
Faire exploser le statut protecteur hospitalier pour aller vers l’individualisme, le cas par cas.
L’état de la mobilisation aujourd’hui ? (30 juin 2020)
« Ben c’est moitié moins qu’il y a quinze jours. Après, avec ce qu’on vient d’annoncer dans le SEGUR, je vous jure qu’il va falloir qu’on se serre les coudes parce que ça va être catastrophique, ça va être encore pire qu’avant.
– On va vers l’accélération parce que là en réponse on a eu la division dans les primes et là a priori ce qui ressort des pourparlers, c’est d’aller encore plus dans cette direction là. C’est à dire de proposer des objectifs, avoir des primes conditionnées aux objectifs, enfin voilà un système très libéral, très privé.
– Des négociations locales.
– Ça veut dire faire exploser le statut protecteur hospitalier pour aller vers l’individualisme, le cas par cas. C’est pas du tout le projet initial de l’hôpital public.
– Ils ne font rien pour améliorer les choses. »
« Des mobilisations, ça date déjà de l’année dernière, on en a déjà fait pas mal. Bon peut-être que les gens là se sentent un petit peu plus concernés. C’est vrai qu’il y a des demandes de revalorisation salariale donc… je pense que les gens en ont un petit peu assez de travailler sans moyens. Et puis la reconnaissance du travail, c’est important à un moment donné. »
Je trouve qu’il manque du collectif.
Évolution de la mobilisation à l’extérieur de l’hôpital ?
« Non, je ne trouve pas. Si l’autre fois le 16 juin oui, mais après… les gens nous ont applaudi mais vous savez ce n’est qu’un temps. Chacun oublie, chacun repart avec ses contraintes aussi. Peut-être que les gens actuellement subissent le chômage partiel dans les entreprises privées, ils ont aussi leurs difficultés… Je trouve qu’il manque du collectif. Mais vraiment du collectif inter… il n’y a pas que l’hôpital, il y a le privé.
Je pense que si on était tous mobilisés, ben on arriverait sans doute à avoir des choses. Que si chacun fait dans son coin, ben forcément ça divise puisque chacun réclame ses petites choses, et c’est forcément pas les mêmes. C’est plus facile, quand on divise les gens, c’est plus facile que de les rassembler. Quand les gens sont rassemblés, ils sont bien obligés de donner quelque chose quand les gens demandent la même chose. »
La mobilisation du personnel depuis le 16 juin ?
« On sait que de toute façon quand on fait plusieurs mobilisations, c’est pas la première qu’on fait, on sent qu’à chaque fois il y a des forces qui sont en moins. C’est comme ça. C’est de la fatigue qui s’accumule. On voit quand on fait les tournées de services… je ne sais pas jusqu’à quand…
La mobilisation aussi, c’est savoir ce que c’est le SEGUR. Parce que nous [syndiqué.e.s] on est dedans.
– Ça ne fait pas longtemps qu’on a des pistes de ce qui s’y dit.
– Et c’est atroce quand on sait ça. Là je pense que ça va énerver des gens mais… ça fait peur. Tu te dis ”où est-ce qu’on va aller ?” »
La santé c’est pas que nous les soignants, c’est toute la population !
Les suites de la lutte ?
« Il faudrait qu’on soit plus ici déjà. Il y a une mobilisation au niveau national, c’est en train de se faire sur le 14 juillet à Paris. Là je pense qu’il va y avoir des milliers d’hospitaliers, mais il faudrait aussi tous les usagers, parce que la santé c’est pas que nous les soignants, c’est toute la population ! »
D’autres formes d’action ?
« Là ça va être compliqué, on rentre dans une période de vacances, on sait bien. Le SEGUR il est signé le 14 juillet là, même vendredi, ils ont avancé. Donc nous on est déjà restreints dans les services, minimum. Faut voir aussi que là il n’y a pas beaucoup de monde mais on est obligés de… Il y a les gens qui sont assignés, qui sont solidaires avec nous, mais qui ne peuvent pas être présents là sur le parvis.
– Il y a le service minimum à appliquer.
– Donc voilà, c’est compliqué pour nous de faire grève. »
« Il y a eu déjà des choses de faites. Nous, à part le rassemblement, on a fait beaucoup de chaînes virtuelles et tout ça.
– Ces actions là fonctionnent bien, parce que le fait de se mobiliser, de se dégager du temps pour venir, prendre des heures de grève, c’est pas si évident que ça.
Je pense que la grève a ses limites aussi, je pense qu’il faut envisager d’autres moyens d’action. Après lesquels, c’est pas évident. »
Le 14 juillet ça peut aussi être explosif !
Moyens de soutenir ?
« De venir comme vous faites, ça me fait plaisir de voir des usagers. Bon il y a pratiquement plus d’usagers que de soignants. Ça m’interroge… Mais bon c’est ce que je disais, les soignants c’est important, mais ils sont fatigués. Certains arrivent en fin de journée, et d’autres qui sont de soir. C’est pour ça qu’on fait à cette heure là, c’est parce qu’il y a un relai.
Après il faut faire des actions avec les usagers en ville, on va voir comment…
Et puis à la rentrée, je ne sais pas comment ça va faire, parce que le 14 juillet ça peut aussi être explosif !
C’est important aussi de faire local, parce qu’on voudrait de temps en temps aller à Rennes mais on peut pas être sur les deux terrains.
Bon voilà, on essaye de faire pour le mieux. »
Il faut qu’on soit bien, en tant que soignants, pour soigner les malades qui sont dans les lits.
Un autre fonctionnement du système de santé ?
« Plus d’humain(s) ! (rire) Plus d’humain(s)… alors c’est ce que je disais moi j’ai 35 ans de boîte, au début je suis arrivée on avait pas matériel, on faisait avec des lits qu’étaient hauts comme ça à quatre pattes, on avait pas de matériel. On avait pas de lève-malade, on levait tout au bras, c’est pour ça qu’on a des problèmes d’épaule maintenant. Mine de rien, quand on fait ça depuis des années, on force et puis le dos les épaules ne tiennent plus. Maintenant on a amélioré le matériel dans les hôpitaux mais on a enlevé du personnel.
Il faut les deux, pour moi il faut les deux. Mais le moyen humain… on est confronté à la mort, à la maladie, donc c’est dur physiquement et psychologiquement… je ne sais pas si vous le percevez, mais quand on travaille depuis des années et des années à un moment aussi, on a nos limites, c’est normal on est humain. Et puis il faut qu’on soit bien, en tant que soignants, pour soigner les malades qui sont dans les lits.
– Les locaux ça va, quoi qu’ils ne sont pas fonctionnels mais c’est un autre problème… après le matériel commence un peu à faire défaut. Parce que les dotations, comme il y a eu beaucoup d’investissements dans les locaux, le matériel se fait attendre maintenant, le plan d’investissement à tendance à…
– Maintenant on est regroupé avec le CHU, quand vous voulez par exemple des lits ou des trucs comme ça, c’est le CHU qui commande et après ça revient dans les hôpitaux. Et quand il y a des intermédiaires comme ça…
– Il y a une délégation, avec le GHT, le groupement hospitalier des territoires, c’est l’établissement support qui décide. Si l’investissement est supérieur à 50 000€ je crois, ou 80 000€, excusez moi pour le chiffre je suis pas précis, systématiquement il faut demander l’autorisation au CHU pour que l’investissement soit réalisé. On ne peut pas nous-mêmes, il y a un plafond de financement, on ne peut pas nous-mêmes décider. Limités par le CHU, le GHT, et donc derrière il y a l’ARS (agence régionale de santé) qui décide. Pour mutualiser les moyens, pour essayer de faire des économies, en restreignant. En mutualisant, ça veut dire mettre en commun pour essayer de faire des économies quoi. »
Les gens sont de plus en plus vieillissants, ils sont plus lourds et quand il faut bouger des personnes qui sont grabataires et en plus obèses, c’est compliqué !
« Ce qu’il faudrait changer, c’est la rémunération par rapport aux actes. Puisque l’hôpital est payé suivant tel ou tel acte. Par exemple une appendicite vaut tant, un truc vaut tant… Il y a certaines pathologies qui vont rapporter plus que d’autres, et puis alors il peut y avoir un patient qui arrive pour telle pathologie, bon alors il cote tant, bon mais apparemment si j’ai bien compris, il peut avoir autre chose qui va s’associer à un moment t, sauf que cette chose ne va pas coter parce que, voilà, c’est pas comme ça, elle ne peut pas être coté. Donc en fait les gens restent mais ça coûte cher ! Au bout du compte l’hôpital n’est pas revalorisé par rapport à ça. Donc chaque acte devrait être revalorisé à sa juste valeur. Après je ne sais pas si c’est par acte, si c’est… mais c’est sûr qu’il faut revoir ce système de cotation des actes, c’est certain.
Il faut remettre des moyens humains et des moyens matériel aussi, du bon matériel pour travailler. Parce que c’est important le matériel aussi. On ne va pas dire qu’il n’y a pas ce qu’il faut, mais il pourrait être revu quoi, parce qu’il y a des choses ça commence à être un peu vieillissant. Il y a certainement des aides pour le levé qui sont plus simples à utiliser pour nous, parce qu’un lève-malade, je ne sais pas si vous avez déjà vu mais… ça nous aide mais il faut quand même tirer sur l’appareil, ça nous fait des tensions dans les épaules. Enfin voilà, c’est compliqué. Quand vous avez une personne à lever qui fait 120 kg, ça vous plombe le lève-malade au sol, faut tirer dessus, toute seule vous ne pouvez pas. Et même à deux quelque fois. Faudrait des choses un petit peu plus… il doit surement exister des choses qui soient plus faciles. Bon après c’est le financement, les prix ne sont pas les mêmes. Comme en USLD (unité de soins de longue durée) ils ont des rails, je pense que dans les services de médecine, il faudra qu’ils pensent aussi à mettre ce genre de matériel à l’avenir.
Parce qu’il faudra aussi préserver les soignants par rapport à tout ce qui est TMS (troubles musculosquelettiques). Les gens sont de plus en plus vieillissants, ils sont plus lourds et quand il faut bouger des personnes qui sont grabataires et en plus obèses, c’est compliqué ! On n’est que des p’tits bouts de bonne femme nous ! (rire). De tout façon un homme va peut-être pouvoir le faire, mais à un moment aussi son dos va souffrir, ses épaules vont souffrir. »